L'amour du langage

Comment l’amour des mots a façonné ma vie

Rédigé par Ana Conan(À propos de l'auteur)

J’ai toujours aimé les mots. Née en Normandie, j’ai grandi en Bretagne. J’utilisais des mots français et des mots bretons sans savoir à quelle langue ils appartenaient. Une troisième langue a rapidement influencé ma manière de m’exprimer : mes parents étaient professeurs d’anglais. Ils ont toujours insisté sur l’importance de la communication, peu importe la langue qu’on utilisait. Par exemple, quand mes frères et moi nous battions, ma mère nous suggérait de remplacer nos poings par des mots.

Enfant, elle me lisait des histoires en anglais pour que je m’habitue aux sons de cette langue qui chatouillaient mes oreilles de francophone. Quand les filles de mon âge demandaient des poupées pour leur fête, je demandais un dictionnaire des rimes, un en français, un en anglais. Quand elles lisaient des magazines sur des célébrités, j’empruntais le « Times » de mon père. Papa avait aussi quelques livres sur le Canada, pays qui deviendrait rapidement l’objet de mes rêveries en classe.

Un antidote à l’intimidation

À l’école justement, mes différences m’isolaient autant dans la cour que dans la classe. Un jour, j’ai découvert Émile Zola. Alors que la classe se plaignait de devoir lire 1 seul roman, j’en lisais 2 ou 3 par mois.

Très loin derrière les autres en sciences, je réussissais dans les matières littéraires sans avoir à étudier, ce que n’aimaient ni mes enseignants ni mes camarades. L’intimidation quotidienne venait des deux côtés. Les punitions du type « copier 100 fois la même phrase » pour me donner une leçon étaient en vérité un délice : j’aimais le bruit de la plume sur le papier, les formes des lettres qui se dessinaient, l’encre qui coulait du bout du stylo et les lignes qui se remplissaient. Les mots et leurs règles ne me quittaient plus : pourquoi on devait mettre un S, pourquoi l’orthographe ne correspondait pas à la prononciation, pourquoi cette forme était irrégulière?

Transmettre à mon tour l’amour des mots

Quelques années plus tard j’ai obtenu un bac en linguistique, histoire et littérature. J’ai filé au Canada, mon eldorado, où je suis devenue professeure de français. J’ai développé des méthodes variées pour faire comprendre et mémoriser des notions complexes. Jeux de cartes, anecdotes, plaisanteries, schémas, etc. J’utilisais toute méthode qui était efficace et les étudiants apprenaient autant qu’ils s’amusaient.

Une règle était plus importante que toutes les autres : il était hors de question qu’un apprenant subisse ce que j’avais subi à l’école.

Après 7 ans d’enseignement, j’ai dû changer de carrière à contrecœur. Je voulais pourtant continuer de faire ma part pour le Canada qui m’avait permis de réaliser un de mes rêves : servir les Canadiens était pour moi une évidence.

Je suis maintenant Canadienne et fonctionnaire. Je travaille dans un autre domaine que celui de l’enseignement, mais les mots sont toujours ma passion : j’anime des ateliers sur la langue française.

Quand je rentre du travail, j’aime regarder ma bibliothèque où Émile Zola côtoie Alexandre Dumas et Amélie Nothomb, ainsi que des récits de voyageuses et de photographes, des grammaires et des livres sur l’histoire du Canada.

Les mots ont toujours joué un grand rôle dans ma vie. Quelle importance ont la langue et la littérature dans la vôtre?

Victor Hugo : Le mot

Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes ;
Tout, la haine et le deuil !
Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs
Et que vous parlez bas…
Ecoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille du plus mystérieux
De vos amis de cœur ou si vous aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce mot, que vous croyez que l’on n’a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre ;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin ;
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l’aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et cætera
Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,
Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive
Et railleur, regardant l’homme en face dit :
« Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel. »
Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel.



Le Labo Des Arts, depuis 2010, réalisé par E. Brasseur, enseignant en ARTS, Collège Sainte-Anne - Dorval